Euskal Baserria

ou La Ferme basque, de Jorge Oteiza

Je sais où je me lance en abordant ce sujet qui fit polémique. « Des goûts et des couleurs on ne dispute pas » dit l’aphorisme ; j’ose affirmer, à l’inverse du philosophe irlandais David Hume, que ce proverbe nous induit en erreur. Le même Hume, dans La Règle du Goût (1764) définit la beauté comme « une forme inhérente aux choses elles-mêmes, elle existe seulement dans l’esprit qui la contemple, et chaque esprit perçoit une beauté différente. Une personne peut même percevoir de la difformité là où une autre perçoit une beauté différente ».

Plus classique, tu meurs…!
Chiswick House – 1729 – Londres

Les critères de la beauté évoluent selon les temps. On remarque d’ailleurs, dans la considération précédente, que Hume associe difformité à laideur et induit donc que c’est la pureté de la forme qui détermine la beauté. Nous sommes désormais loin des conceptions du XVIIIe classique. Nul aujourd’hui ne s’aventurerait à semblable réduction. En revanche, elle existe seulement dans l’esprit qui la contemple nous est une conception beaucoup plus familière : ainsi en va-t-il de l’art contemporain.

Peut-on encore classer Jorge Oteiza parmi les artistes contemporains puisqu’il est devenu, à l’instar de son confrère Eduardo Chillida, un classique ? La seule idée de classer est étrangère à l’esprit de l’art. On ne peut comparer les deux artistes. Je me borne à une analogie tant tous deux ont marqué l’art du XXe siècle en Pays basque, tous deux utilisant le même matériau pour leurs sculptures : l’acier corten.

Je ne disputerai pas de la beauté de Euskal Baserria. Je ne m’occupe même pas de sa signification ni de son éventuel caractère symbolique. Je veux me contenter de montrer qu’elle se trouve très exactement là où elle doit être, qu’elle est magnifiée par la nature à laquelle elle se confronte, nature qu’à son tour elle glorifie, s’il en était besoin.

Elle est plantée au cœur de l’arrondi de ce balcon sur l’océan que je me plais à imaginer conçu pour elle.
Euskal Baserria est faite de couleur rouille, de métal, de lignes droites et d’angles saillants.

Peut-être avez-vous remarqué que l’océan et le ciel sont bleus ? Probablement vous souvenez-vous aussi que la couleur complémentaire du bleu est l’orange ? Je vous entends déjà : « il chipote ». Non, non : le rouille est bien un orangé qui vient se poser précisément sur son exact complément. Pas son opposé, son complément. Ce n’est pas le goût, c’est l’œil qui nous indique que l’œuvre complète l’ouvrage de la nature.

Et elle est de fer. Regardons où nous sommes et ce que nous sommes ? De l’air : la place Bellevue est probablement le lieu le plus venté de Biarritz. De la terre : celle sur laquelle nous nous tenons, celle de la falaise qui nous fait face, celle de la ferme, la baserria, celle qui nous attend. De l’eau : est-il nécessaire de dire laquelle en plus de celle dont nous sommes faits ? Par bonheur, la balustrade s’est faite discrète, quasiment invisible, et n’a aucun caractère qui troublerait cet admirable agencement. Car l’élément de feu de la sculpture est très exactement ce qui ne fut jamais, jusqu’alors, en ce lieu.

Enfin, s’il est bien une chose que la nature ignore, c’est la ligne droite. Sur ce deuxième cliché, le contraste est flagrant ; il est même dommage qu’on ne puisse avoir l’angle de vue du premier dans ce décor-ci. Des arrondis moelleux du Bellevue et du promontoire à la courbe de l’horizon, en passant par le mouvement perpétuel de l’océan, jusqu’aux pavés et aux marches, tout, ici, n’est que courbe. La hautaine violence de ces lignes et de ces angles dans leur écrin infini est souveraine.

Je me rappelle avoir dit à Monsieur Borotra qu’elle aurait mérité d’être plus grande, de s’imposer davantage : « Elle a la taille exacte qu’a souhaitée l’artiste » me répondit-il, « c’est lui qui l’a choisie ». J’avais pensé alors que l’artiste est aussi susceptible d’erreur, y compris sur son propre ouvrage. Aujourd’hui j’en suis moins sûr. Peut-être, quand j’aurai 94 ans, comme lui en 2003, me dirai-je alors : « finalement, Oteiza avait raison » ?

8 commentaires sur “Euskal Baserria

    1. quel que soit l’angle ? Dommage. mais c’est normal, chacun perçoit les choses à sa manière.
      C’est un point de vue très compréhensible, je viens d’en faire le tour par quelques photos et, oui, on peut la ressentir comme ça.
      Je suis moins d’accord quand on envoie un « c’est un sale truc rouillé » brutal.

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