« J’écris ton nom »1… n’importe comment.
Quelques principes

Les libertés publiques, droits fondamentaux, libertés fondamentales, autant de termes recoupant peu ou prou la même acception en France, sont énoncés dans une succession de textes dont le premier est la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789. Elle est reprise et augmentée dans le préambule de la Constitution de 1946, lui-même intégré à celui de la Constitution de 1958 ; ils forment avec d’autres, ce qu’on appelle le bloc de constitutionnalité. Ils sont complétés et chaque fois augmentés par la Déclaration universelle des droits de l’Homme (DUDH) de 1948 puis la Convention européenne des droits de l’Homme (CEDH) de 1950. Pour ne citer que les principaux, les textes fondateurs, ceux auxquels nous nous référons.
Quelques constats
J’ai été frappé ces dernières semaines de la violence avec laquelle le confinement a été subi par certains. Il ne s’agissait pourtant que de restrictions parcellaires et surtout temporaires. Ces privations ont donné lieu à des commentaires très durs, allant jusqu’à condamner une dérive dictatoriale de la Ve République. Peut-être parce que l’on confond liberté et licence. De manière lapidaire : une licence n’est pas une liberté. Mais laissons aux philosophes le soin d’argumenter sur ce sujet, il n’est pas notre propos.
La friction entre notre liberté et notre sécurité est constante, surtout depuis les attentats de novembre 2015. Un état d’urgence s’est ensuivi. En mars 2020 il s’agissait d’état d’urgence sanitaire. Deux mois de restrictions, ce n’est rien, comparé à cet état permanent imposé par certaines dictatures où les violations des droits de l’Homme et des libertés y sont totales et constantes. Alors quoi ? Nous pourrions nous plaindre ? De quoi, finalement ?

Photo de Fabien Cottereau pour Sud-Ouest
Notre seuil de tolérance des contraintes et dangers a considérablement baissé par rapport à nos aînés. Nous n’en supportons plus guère. Nos libertés ont progressé ? Leur encadrement est liberticide. L’innocuité d’une activité ou d’une technologie n’est pas avérée ? Son usage doit immédiatement être prohibé.
On prévient, encadre, clôture, interdit pour préserver notre santé ? C’est un devoir de l’État et une liberté pour nous. On prévient, encadre, clôture, interdit pour préserver notre santé ? C’est une corruption de l’État de droit, une atteinte à notre liberté individuelle. Comment s’en sortir ?
Paradoxe des paradoxes : on restreint notre liberté pour assurer notre sécurité alors que notre sécurité est nécessaire à l’expression de notre entière liberté.
Les drames
Et pourtant… Dans les EHPAD, des mères sont mortes sans avoir pu embrasser leurs enfants ; des maris sans avoir pu dire un dernier mot à la compagne de leur vie. Des familles entières ont vu un aïeul disparaître de loin sans même un dernier adieu. Pire : certains, sans visites, se seront laissé aller doucement, mais définitivement. Tout cela fut d’une grande violence ; peut-être la plus grande de ces dernières semaines. Était-elle nécessaire ? Pourquoi tant de souffrance ? On en dissertera longtemps.
Et pourtant… Fin mars, un tout jeune médecin me confiait son angoisse : l’Agence régionale de Santé les avait prévenus qu’ils devaient se préparer à exercer une « médecine de guerre ». L’expression a un sens précis : choisir qui l’on va tenter de sauver et donc choisir qui l’on va laisser mourir, faute de moyens. Quels choix tragiques pour ces jeunes ne dépassant pas la trentaine d’années ! Leurs confrères italiens leur avaient fait connaître l’horreur qu’ils avaient vécue. Leurs confrères et consœurs alsaciens, internes ou jeunes médecins du même âge, leur disaient la même chose. Et ma jeune interlocutrice de conclure : « Au moindre mot de travers dans une école, on met une batterie de cellules psychologiques en place, nous, nous n’avons rien, on nous laisse seuls face à la mort : à l’automne nous remplirons les salles d’attente des psychiatres ».
La nausée

Exactement dans le même temps, un titre fleurissait sur un réseau social au sujet de Biarritz : « Accéder aux espaces naturels est un droit fondamental ». Le droit fondamental d’aller à la plage ! Réellement, j’en eus la nausée. Pendant que ses jeunes confrères vivaient un terrible drame, un médecin-surfeur-élu-candidat biarrot osait choisir ce combat : je veux retourner surfer. Caprice puéril d’un être inconscient de la vanité et du ridicule de sa situation, vantant et vendant son bouquin sur les mérites de la surf-thérapie – nul n’a jamais vu la moindre preuve des valeurs thérapeutiques du surf ; la déontologie n’a pas franchi les limites de Biarritz. Ignorant de ce qu’est un droit fondamental, en six ans de mandat, il n’a même pas su se renseigner. Le mélange des genres est un art qui lui permet de traiter de tout à la fois sans jamais avoir rien démontré de sa capacité à agir. Qu’il n’ait rien fait, cela n’étonnera personne ; il ne revendique d’ailleurs pas grand chose. Mais qu’il ait la prétention de servir à quelque chose est devenu pathétique.
On trouve ma colère sévère ? Oui. On la trouve injuste ? Non.
Sévère, on l’a compris, parce qu’un médecin à Biarritz qui ne voit pas les épreuves qu’endurent ses confrères, c’est odieux. Mais colère juste car, s’il ne voit pas cela, qu’au moins il se préoccupe de ses concitoyens éprouvés dans leur emploi, leur pouvoir d’achat, leur vie familiale, qui ne peuvent plus payer leur loyer, nourrir leurs enfants faute de cantine scolaire, et qui vont demain se retrouver au chômage, sans autre ressource que le minimum social.

Eux aussi sont Biarritz.
Où est leur lueur d’espoir ?
Où est leur liberté ?
1 Liberté, Paul Éluard, 1942
Bravo, une fois de plus pour ta lucidité.
« Paradoxe des paradoxes : on restreint notre liberté pour assurer notre sécurité alors que notre sécurité est nécessaire à l’expression de notre entière liberté. »
Ce que tout le monde n’a pas compris
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Quel joli commentaire, bravo Madame!
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Ca fait du bien de lire ce genre de chose !
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