Il a fallu de l’audace et un certain courage aux organisateurs de concerts toulousains, les Grands Interprètes et Catherine et Thierry d’Argoubet en premier lieu, l’orchestre national du Capitole et son délégué général, Jean-Baptiste Fra en second, de faire revenir dans la Ville rose le maestro Tugan Sokhiev quand on sait les conditions de son départ (ici). Les Toulousains (et lointains exogènes…!) se réjouissent d’une telle profusion de productions de très haute qualité, quelque deux semaines après l’extraordinaire Tristan à l’Opéra du Capitole.
Le plus beau son de cordes du monde

On sent Tugan heureux et un brin ému de retrouver la Halle aux Grains à la tête de l’un des plus prestigieux orchestres de la planète, l’Orchestre philharmonique de Vienne. Dès son apparition, son public lui fait une bruyante ovation dont, avec modestie, il profite à peine pour lancer immédiatement Rimsky-Korsakov et Sheherazade. Passé le premier thème majestueux aux cuivres, entrent les bois par deux, clarinettes, flûtes et bassons, puis le deuxième thème au violon solo délicatement soutenu par la harpe. Le XIXe est passé par-là et les cordes n’ont plus le rôle prééminent qu’elles eurent jusqu’alors ; on entre dans un univers où l’orchestration est plus une instrumentation, ce qu’un Ravel accentuera encore quelque temps plus tard.
Les yeux d’Axel, complet néophyte, sont en perpétuel mouvement, il ne manque rien, jouit de tout, regarde et écoute tout, s’émerveille des instruments, de leur son, de la salle, du spectacle total. C’est son opera, au sens du XVIIe siècle1.
Et entrent les cordes. C’est saisissant : un son velouté, une précision d’attaques, une extraordinaire cohérence de timbres pour qui est plus habitué à nos orchestres hexagonaux. Ce n’est pas les dévaloriser qu’écrire ça, c’est simplement qu’il y a des orchestres ; de grands orchestres ; puis de merveilleux orchestres ; quatre ou cinq encore que des chefs ont longtemps sculptés à l’image de leur immense talent ; enfin il y a Vienne. Vienne dont les cordes bouleversent. Leurs pizzicatos (les musiciens laissent l’archet et attaquent la corde du bout du doigt pour un son très bref) parfaits, les quarante musiciens jouent comme un, c’est hallucinant de précision, de concentration et de talent. Et il y a Tugan, qui va les chercher d’amples mouvements tout en rondeur, sans à coups, sans raide battement de mesure. Il abandonne parfois la baguette en se retirant presque pour laisser œuvrer les solistes : à cet instant précis, ils n’ont plus besoin de son geste, son regard suffit. Osmose. Et puis il y a la jeune bassoniste, française paraît-il, dont les sons filés pianissimos coupent le souffle à l’auditeur (mais à lui seul, heureusement) : on n’oserait pas émettre un bruit qui viendrait troubler ces sons merveilleux qui n’en finissent pas de s’éteindre.
Sokhiev retient l’orchestre dans les trois premiers mouvements de la quatrième Symphonie de Tchaikovski, sans le brider mais canalisant les excès que peut susciter le compositeur dans ses éblouissantes trois dernières symphonies. On retient le troisième mouvement tout en pizzicatos étourdissants et d’une grande légèreté avant que le maestro lâche les chevaux dans le dernier : le moteur rugissant d’une Aston Martin ne se retient pas, le passant s’arrête sur le bord du chemin pour l’écouter et regarder passer. Sokhiev pilote.
Ce qu’il ne fera guère dans le bis, une polka de Johann Strauss que l’orchestre jouerait les yeux fermés. Même dans un programme russe, ô combien symboliquement russe, les Wienerphilharmoniker restent des Viennois.
Ô Toulouse

Hier soir, Tugan Sokhiev retrouvait ses chers musiciens toulousains qui lui rendent bien estime, admiration et tendresse, tout comme son public de fans, pour un programme plus russe que russe avec Rimsky à nouveau, La grande Pâque russe, le Concerto pour hautbois du jeune compositeur Raskatov, pour finir avec la neuvième Symphonie de Chostakovitch, impressionnante bien qu’elle n’ait pas les énormes proportions des suivantes. Si l’écriture orchestrale de Chosta est plus massive que celle de Rimsky, il instrumente à sa manière, lui aussi, offrant de très beaux solos aux basson, trompette, clarinette et flûte piccolo. L’orchestre de Toulouse a fêté comme il se devait son ancien maestro (on n’y était pas, mais Philippe sait qu’il faut faire sonner le téléphone après 23 heures !).
Ensemble, ils ont célébré le départ en retraite du flûtiste solo François Laurent, solide et talentueux pilier de la phalange toulousaine aussi apprécié de Tugan Sokhiev qu’il le fut de Michel Plasson.
Désormais, l’ONCT attend sereinement son futur, jeune (22 ans) et prodigieux chef finlandais, Tarmo Peltokoski, déjà entendu triomphalement au festival Ravel à Saint-Jean-de-Luz en septembre dernier.

©Romain Alcaraz pour l’ONCT
1 Opera est le pluriel du latin opus, l’œuvre. Soit les œuvres ou l’œuvre totale car elle réunit les principaux arts du temps, l’architecture et la sculpture de décors peints, la littérature et le drame, la musique et la danse. Opera sera immédiatement francisé en opéra.
On y est presque mais surtout on regrette de ne pas y être ! Quel talent !
Merci pour cette description qui fait entendre ces talents 👍
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On y était aussi le 17 novembre, c’était notre 50ème ( quand on est fan on compte). Et puis samedi avec les Wiener. Grandiose!
Merci pour le partage du concert d’hier.
Tugan un jour, Tugan toujours …
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